L'union du 16 juin 2014
Devenir un homme : Tanya nous raconte son cheminement
Publié le 16/06/2014 - Mis à jour le 16/06/2014 à 09:34
Par Mathieu Livoreil
REIMS (51). Le transsexualisme reste un tabou de notre société. Afin de rendre moins mystérieux ce sujet, une femme en train de devenir un homme a accepté de se raconter. Témoignage.
Un garçon né dans un corps de fille. Aussi loin qu’il puise dans ses souvenirs, Tony (prénom d’emprunt, « mon futur deuxième prénom, j’espère »), née Tanya (prénom d’emprunt) en 1968, ne se souvient pas avoir réussi à apprivoiser ce corps féminin. « J’avais 7 ans et je ne voulais pas m’habiller en fille, j’étais un vrai garçon manqué, ma personnalité était déjà masculine. Je me rappelle très bien un épisode : j’avais 13-14 ans, ma mère m’avait obligé à mettre une jupe, je suis allée ouvrir la porte à une copine et j’avais honte d’être comme ça, tout simplement » Pourquoi ? La réponse fuse, sourire en coin : « Mais moi, si je vous mets une robe et que je vous dis d’aller à la boulangerie, vous allez vous sentir comment ? » La transsexualité se vit d’abord comme une blessure. Certains décident de vivre comme s’ils ne sentaient rien. Les autres, ceux qui ont le courage de regarder la blessure en face, la regardent au contraire comme la clé d’un monde dont ils ignorent tout.
Mastectomie et hystérectomie, huit heures d’opération
L’adolescence de Tanya, enfant unique, est « compliquée ». Elle découvre son attirance pour les femmes « et les hommes efféminés ». À 21 ans, elle commence des injections de testostérone. Deux par mois, à des doses qui, de nos jours, ne sont plus autorisées. Son corps change : du duvet apparaît sur les cuisses, les bras, les mains et le ventre ; les traits de son visage se masculinisent ; la voix également, pas assez vite à son goût : « Certains, au bout de deux mois de traitement, ils ont une voix d’homme, ils ont de la chance ! », confie notre interlocuteur. Le clitoris, lui, grandit et, selon la terminologie médicale, se rebaptise dicklit.
Tanya décide d’arrêter son traitement « par amour ». Explications : « Je suis tombée amoureuse d’un homme efféminé, comme d’habitude… Notre histoire a duré sept ans. » De cette union naît un garçon en 1995. Tanya enfouit sous le tapis ses envies de devenir un homme : « L’idée était en stand-by. » Jusqu’à ce jour de 2013, peu après que son fils a fêté sa majorité. « Je suis tombé sur une émission télé qui expliquait les progrès médicaux sur le sujet. J’en ai pleuré. » De nouveau, Tanya brûle de l’intérieur. Elle se décide à en parler à son fils. « Il a bien pris les choses, il m’a dit qu’il avait toujours eu l’habitude de me voir habillé en mec : sweat à capuche, treillis, etc. » En revanche, la nouvelle passe moins bien pour la mère de Tanya : « Elle a pleuré lorsqu’elle a su que j’allais recommencer un traitement… Pour elle, je suis sa fille, c’est très compliqué de dire il » Et au boulot ? « Pas de souci, y a des homos et personne ne les embête. » Par le biais d’un endocrinologue, elle entame une nouvelle hormonothérapie avec une prescription à vie d’Androtardyl « puisque mon corps ne produit pas de testostérone ».
Quelques mois plus tard, rendez-vous chez un psychiatre qui doit donner le feu vert pour que soient pratiquées des opérations chirurgicales : « Grosso modo, il m’a posé les mêmes questions que vous… » Le 23 mai, Tanya subit une mastectomie (ablation des seins) et une hystérectomie (ablation de l’utérus et des ovaires). Quatre heures sous anesthésie générale dans un hôpital parisien. « La totale », résume-t-elle. Ces opérations ouvrent la voie à une procédure judiciaire, laquelle doit aboutir, sur le plan légal, à un changement d’identité (voir par ailleursJe me reconnais »
« Le surlendemain de l’opération, je me suis levé et vu dans la glace. Et spontanément, j’ai dit : Je me reconnais. Beaucoup de trans, deux mois après l’opération, ont l’impression d’avoir toujours été comme ça, c’est connu comme sensation » Présente à ses côtés lors de l’entretien, une amie complète : « C’est comme une deuxième naissance. » Sauf renoncement, Tony, transsexuel FTM (female to man), subira une phalloplastie (pose d’une sonde et d’un sexe masculin conçu avec de la chair prélevée sur un avant-bras avant d’être enroulée autour du diklit), lourde opération de huit heures. Puis, six mois plus tard minimum, une scrotoplastie (pose de bourses-prothèses). « Je vais toujours au bout des choses !, éclate de rire Tony, dont le visage est encore un étonnant mélange entre féminin et masculin. La transsexualité, c’est un sujet qui fait peur. Imaginez-vous en femme et concentrez-vous… Voilà. Je n’ai pas pu mettre cette question-là de côté toute ma vie. Il faut vouloir comprendre ça. »